Didier Saint-Georges, Membre du Comité d'Investissement Stratégique de Carmignac, nous présente sa dernière analyse des marchés financiers où une certaine fébrilité se fait jour alors qu’un nouvel environnement boursier pourrait modifier les comportements à moyen terme.
Didier Saint-Georges: Dans notre Note de janvier, nous abordions notamment la perspective d’une hausse des taux d’intérêt et indiquions que « l’année 2021 pourrait s’avérer plus complexe pour les marchés que ce qui semble généralement admis ». Cette mise en garde se confirme dès à présent. Alors que les taux d’intérêt ont commencé à remonter sur les marchés financiers, les investisseurs commencent à s’interroger sur les effets de cette hausse sur les actions.
DSG : En général, le message envoyé aux investisseurs lorsque les taux d’intérêt commencent à remonter est plutôt favorable aux actions. Cette hausse est en effet le signe d’une embellie à venir de l’économie et, au début, elle ne menace pas de manière importante la capacité d’emprunt des entreprises. Mais nous ne sommes pas aujourd’hui dans un tel cadre.
DSG : Pour comprendre la situation, il faut remonter à la crise financière de 2008 qui a modifié le paysage économique et financier tel qu’on le connaissait jusqu’alors. Cette crise a conduit les banques centrales, qui régulent l’activité économique, à intervenir massivement pour relancer l’économie mondiale. Cet interventionnisme, dont il a résulté une baisse des taux d’intérêt et leur maintien à de très bas niveaux, a perduré durant toute la décennie qui a suivi.
Ces taux bas ont dopé la Bourse durant cette période. En revanche, les progressions de salaires sont restées faibles avec une croissance économique médiocre et des prix qui ont pratiquement stagné.
DSG : Exactement. La crise de 2020 a dynamité une première fois l’approche des gouvernements, jusqu’alors contraints par la nécessité de maîtriser les dépenses publiques, en les obligeant à tourner radicalement le dos à cette rigueur budgétaire. Désireux de relancer l’économie mondiale mise à l’arrêt par la pandémie, les gouvernements sont entrés en scène avec plusieurs mesures telles que des aides financières pour les entreprises, voire de l’argent directement envoyé aux ménages comme ce fut le cas aux Etats-Unis.
Puis le président américain Joe Biden, appuyé par une majorité absolue au Congrès, a complété la démolition de cet ancien régime en s’engageant sur un programme de relance sans précédent, qui cible explicitement la croissance réelle et la réduction des inégalités sociales.
DSG : On pourrait être en train de vivre ce que l’on appelle un changement de régime des marchés financiers. A moyen terme, l’environnement pourrait ne plus être plus comparable à celui que l’on a connu pendant plusieurs années et conduire à une modification en profondeur des comportements des entreprises et des investisseurs. Les plans de relance des gouvernements pour faire face à la crise de la Covid-19 combinées aux vaccins pourraient permettre à l’économie mondiale d’afficher cette année, en tout cas aux États-Unis, un rythme de croissance figurant parmi les plus élevés depuis les années 1980. Mais avec une croissance économique de 5% à 6% attendue cette année, la question se pose de l’attitude des banques centrales et de leurs mesures sur les taux.
DSG : Une reprise trop brutale de l’économie pourrait entrainer une hausse des prix, c’est en particulier ce que l’on craint avec les plans de relance du nouveau gouvernement américain. Pour éviter cette surchauffe ou limiter l’inflation, les banques centrales pourraient relever leurs taux d’intérêt. Or, un relèvement trop important des taux d’intérêt pourrait peser sur le cours des actions en incitant les investisseurs et les épargnants à se tourner vers des placements financiers devenus plus rémunérateurs. En outre, cela renchérirait d’autant les coûts d’emprunt ou les crédits à la consommation. Dans le contexte actuel, l’attitude des banques centrales est donc au cœur des interrogations avec cette question : quand pourraient-elles commencer à durcir leur politique monétaire, c’est-à-dire relever leurs taux d’intérêt ?
DSG : Cette fébrilité s’explique par l’attentisme ostensiblement affiché par la banque centrale américaine – la Réserve fédérale. On commence à craindre que, en cas de croissance toujours forte de l’économie américaine au-delà de 2021, la Réserve fédérale ne doive alors précipiter d’autant plus ses mesures pour éviter la surchauffe. A cela s’ajoute une sous-estimation du rebond de l’économie américaine de la part de la Réserve fédérale qui anticipe une croissance de « seulement » 4,2 % aux Etats-Unis cette année. Ce chiffre nous semble très en-dessous de la réalité.
DSG : Nous anticipons une croissance particulièrement forte aux Etats-Unis en 2021 au regard du plan de sauvetage déjà voté par la Chambre des Représentants de 1 900 milliards de dollars, bientôt vraisemblablement doublé d’un plan de dépenses d’infrastructures de taille similaire. De plus, la consommation devrait probablement rebondir à la faveur de l’immunité collective au coronavirus bientôt atteinte aux Etats-Unis. Or la banque centrale américaine semble faire peu de cas – pour le moment - de ces différents éléments.
DSG : Depuis quelques semaines, les taux d’intérêt réels à long terme – c’est-à-dire les taux d’intérêt ajustés de la hausse des prix – augmentent sur les marchés financiers car on pense que la Réserve fédérale va devoir intervenir à terme. Avec l’accélération attendue de l’activité économique aux Etats-Unis, les investisseurs s’attendent à ce que la banque centrale américaine relève ses propres taux et qu’elle réduise aussi ses achats d’actifs sur les marchés financiers destinés initialement à relancer l’économie en y injectant de l’argent.
Lors de son discours devant le Sénat américain le 23 février dernier, le président de la Réserve fédérale Jerome Powell a toutefois confirmé n’avoir aucune intention de durcir sa politique monétaire pour l’instant. Mais en faisant chaque jour monter un peu plus ces taux réels à long terme, les investisseurs signalent à la Réserve fédérale qu’il y a un coût croissant à ne rien faire.
DSG : Un régime de marché de plusieurs années ne s’inverse pas si facilement. Il est naturel que dans cette période de transition, la Bourse connaisse une volatilité plus forte du prix des actions. Ce changement de régime invite néanmoins à la prudence. Et dans un tel contexte, une gestion active de l’épargne semble être la clé.
Chez Carmignac, nous avons réduit ces dernières semaines l’ensemble des risques dans nos portefeuilles. En revanche, nous conservons précieusement, aux côtés des valeurs qui profiteront de la réouverture des économies, les titres des entreprises pour lesquelles nous anticipons une forte croissance avec une très bonne visibilité sur leurs résultats, et qui sont capables de conserver leurs marges en période d’inflation en relevant leurs propres prix de vente lorsque leurs coûts augmentent (matières premières, salaires, loyers…).
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