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Equilibre instable

Publié le
9 avril 2021
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4 minute(s) de lecture

En dépit des perspectives de croissance pour l’économie mondiale cette année, la hausse des taux d’intérêt pourrait ouvrir une période d’instabilité sur les marchés financiers, explique Didier Saint-Georges, Membre du Comité d'Investissement Stratégique de Carmignac.

Comment analysez-vous la situation actuelle des marchés financiers ?

Didier Saint-Georges : Le mois dernier, nous évoquions les effets potentiels sur les actions de la hausse des taux d’intérêt sur fond d’interrogations à l’égard de la croissance américaine. Le mois de mars n’a pas changé la donne. Il existe toujours un risque de voir les taux poursuivre leur hausse accompagnée d’une volatilité en Bourse. Les données des prochains mois, tant économiques que politiques, pourraient être décisives dans la cristallisation d’une nouvelle tendance pour les marchés financiers.

Qu’en est-il aujourd’hui du risque de surchauffe de l’économie américaine que vous abordiez également le mois dernier ?

DSG : Ce risque reste d’actualité. Grâce aux progrès réalisés dans le programme de vaccination aux Etats-Unis, la détérioration de la situation sanitaire est beaucoup plus limitée qu’en Europe et dans le monde émergent (hors Chine), et le nombre d’hospitalisations n’augmente pas. En conséquence, l’économie américaine est déjà en pleine phase de réouverture au moment où les chèques de subventions aux ménages prévus par le plan de sauvetage de l’Administration Biden ont commencé à être distribués.

Le Président Biden semble déterminé dans sa volonté de soutenir l’économie américaine…

DSG : La détermination du nouveau gouvernement américain est en effet extrêmement forte pour faire passer maintenant son plan de relance (American Jobs Plan) de 2 000 milliards de dollars, auquel devrait s’ajouter rapidement un autre plan de 1 000 milliards de dollars. Les montants en jeu sont sans précédent, et l’impératif politique de soutenir la croissance économique au moins jusqu’aux élections de mi-mandat qui se tiendront fin 2022 augure d’une poursuite de ce volontarisme l’an prochain.

Quelles sont vos prévisions de croissance pour l’économie américaine ?

DSG : La dynamique actuelle devrait se poursuivre. Une croissance du PIB (Produit intérieur brut) américain supérieure à 7% en 2021 est désormais plausible avec un taux de reprise d’activité que nous estimons déjà à 50% environ dans les secteurs précédemment gelés (restauration, hôtellerie, transport aérien et loisirs), et un recul du chômage qui semble se poursuivre dans la plupart des États. Attention cependant ; cette conjonction aux États-Unis entre une demande de consommation qui peut enfin être assouvie et un programme de soutien apparemment sans limites nourrit le scénario d’une possible surchauffe, c’est-à-dire d’une croissance s’accompagnant d’une forte hausse des prix.

La banque centrale américaine ne peut-elle pas intervenir pour éviter cette surchauffe de l’économie aux Etats-Unis ?

DSG : La Réserve fédérale américaine (Fed) est en quelque sorte confrontée au choix de Sophie : réduire ce risque de surchauffe ou éviter un retournement des marchés financiers. En retardant le relèvement de ses propres taux d’intérêt, la Fed alimente la crainte d’une hausse des prix sur fond de relance de l’économie, plans de soutien, baisse du chômage, etc. Cette crainte a pour conséquence d’augmenter le niveau des taux à long terme, ce qui peut peser sur les actions et être un frein pour l’immobilier par exemple. A l’inverse, si elle remonte ses propres taux, cela va mécaniquement entraîner une hausse des taux d’intérêt à plus court terme négociés sur les marchés financiers, générant du même coup un risque pour les actions, voire pour l’activité économique elle-même.

La situation que vous décrivez pour l’économie américaine semble très différente de celle que nous connaissons actuellement en Europe…

DSG : Les retards accumulés par l’Europe dans ses campagnes de vaccination lui coûtent cher aujourd’hui car cela se traduit par de nouvelles restrictions à l’activité économique, inévitables pendant encore plusieurs mois. La croissance européenne pourra difficilement dépasser 4% cette année, malgré un effet de base particulièrement favorable après le recul de l’an dernier.

Pourtant les actions ont réalisé de meilleures performances en Europe qu’aux Etats-Unis au premier trimestre. N’est-ce pas paradoxal ?

DSG : Le retard économique pris par l’Europe - qui s’explique par les ratés de sa politique vaccinale et la modestie de ses plans de relance par rapport à ceux des États-Unis - a au moins eu jusqu’ici l’avantage de générer moins de tensions sur les taux d’intérêt européens. C’est cette position de retardataire qui explique notamment la surperformance récente des marchés actions européens. Mais les marchés financiers et l’économie étant des phénomènes globaux, on peut s’attendre d’une part à un rattrapage économique de la région, a fortiori avec l’accélération tant attendue du rythme des vaccinations, et de l’autre à des tensions sur les taux d’intérêt en Europe, comme c’est le cas aux Etats-Unis.

Pour l’heure, les investisseurs semblent plutôt optimistes…

DSG : A l’heure actuelle, l’enthousiasme suscité par le rebond économique l’emporte dans la psychologie des investisseurs sur les risques de surchauffe, d’augmentation durable des prix, et de hausse excessive des taux d’intérêt, qui peuvent légitimement sembler un peu chimériques, surtout vus d’Europe. En outre, l’augmentation des prix peut être contenue par plusieurs facteurs qui restent d’actualité : la démographie, le surendettement et les ruptures technologiques. Mais l’équilibre actuel des marchés financiers est instable.

Comment cela ?

DSG : En tant que gestionnaires de risques, il nous semble important de ne pas écarter la possibilité que le souffle donné à l’économie américaine change le paradigme des dix dernières années sur les marchés financiers car, comme à la fin des années 1960, l’Amérique entreprend aujourd’hui un tournant proprement radical de sa politique économique. D’ailleurs, comme à cette époque, quand « l’exceptionnalisme américain » - ce privilège qui permet aux États-Unis, grâce à leur situation dominante, de s’autoriser des déséquilibres financiers plus élevés qu’ailleurs - ne suffira plus à masquer l’énormité des déficits accumulés, le dollar pourrait à terme en faire les frais et enfin baisser, au bénéfice des pays émergents.

Comment gérez-vous la situation dans un tel contexte ?

DSG : Dans l’immédiat, compte tenu notamment des risques de hausse des taux d’intérêt, il nous semble plutôt prioritaire de gérer la possibilité d’une période d’instabilité sur les marchés financiers afin de pouvoir conserver en portefeuille le fort potentiel de nos investissements de long terme.
Dans les prochains mois, nous allons donc continuer d’investir en fonction de nos convictions de long terme, dont certaines, comme la transition énergétique, sont mêmes renforcées par les plans de relance aux Etats-Unis, tout en surveillant avec une très grande attention les équilibres en Bourse.

Source : Carmignac, Bloomberg, 31/03/2021

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